Slow Science : « moins mais mieux », et si les chercheurs prenaient le temps pour penser ?

Dans le Numéro 410 du mois de décembre 2011 du magasine « Pour La Science », un magasine de vulgarisation scientifique relativement bien écrit et poussé au niveau des explications, figure un article qui fait figure « d’ovni » à notre époque de prolifération et de surproduction des travaux de recherche.

En effet, c’est un article qui ne nous apprend rien que nous ne sachions déjà.

Il ne sera sans doute pas étonnant de constater que, comme toute institution, la recherche se fait écho de son temps et que par conséquent elle prend la forme de l’époque et du contexte socio-économico-politicoetc… dans lequel elle est inclue. Le politique s’en fait écho puisque nous avons en France en tout cas un « Ministère de la recherche » : c’est-à-dire un « organe étatique » visant à réglementer et encadrer le déroulement et la forme que prend la recherche…ministère lui-même en lien avec le domaine des « affaires », entendons par là « affaires économiques ».

Ces constations peuvent nous mener à interroger le lien curieux, mais bien tangible, entre les « laboratoires », les « centres de recherche » et autres dispositifs à vocations scientifiques, avec les « financeurs ». Cet élément est pour le moins banale mais il faut quand même rappeler que les « recherches » sont bien souvent « encadrées » par les « grands groupes » qui ont tous une vocation bien légitime d’un retour « concret » sur investissement qui est bien loin d’une perspective philanthropique.

Pour revenir à l’article en question, son auteur, Christophe André y défend l’idée soutenue par un groupe de chercheurs, le « Slow Science », qui met l’accent sur la pression du rendement et les exigences tyranniques (c’est moi qui rajoute) d’un système de course à l’excellence et d’accumulation de publications .

Pour commencer, l’auteur nous rappelle les origines de la recherche scientifique, en tout cas ses mythes, et notamment, celui du « savant », un homme âgé, j’ajouterai de préférence pourvu d’une barbe grisonnante ou blanche, qui prenait le temps de devenir savant, en découvrant parfois, tout au long de sa vie, des phénomènes, en dehors de son temps de travail.

A travers ces histoires, nous pouvons remarquer quelque chose d’une certaine « vocation involontaire » à la découverte, si bien que le savant consacrait parfois toute sa vie à l’étude d’un phénomène ou d’un domaine précis de son centre d’intérêt.

Aujourd’hui, nous ne parlons plus beaucoup du savant, mais du « chercheur », dont la représentation, et le style, semblent s’être éloignés de ces représentations mythiques que les siècles avaient contribué à battir.

Le changement ou plutôt le glissement du terme « savant » à celui de « chercheur » est-il du à une simple volonté de changement de nos représentations ? dans un but d »adoucir la tâche » qui incombe au chercheur bien qu’il recouvre la même réalité ? (comme nous sommes passé du terme de femme de ménage à celui de agent d’entretien ?) ou s’agit-il d’une catégorie à part ? ou d’une façon de nommer un chercheur déjà très avancé dans sa carrière ? ou qui a fait « preuve » par diverses manières, d’une certaine disposition d’esprit ou de culture ? ou s’agit-il encore d’une catégorisation à des fins technocratiques ?

Le chercheur d’aujourd’hui a rajeuni, il est parfois plutôt « inséré » dans la société et surtout, il est pour certain en tout cas, très pris par son travail et les conférences, ou autres sollicitations. Le chercheur côtoie plus facilement les médias dans lesquels il intervient dans un souci d’éclairer le grand public et nous pouvons ajouter que dans certains cas le chercheur assure d’autres fonctions ou emplois, que ceux qui se réfèrent à son activité principale de recherche.

La différence vient peut-être de la trajectoire et surtout de ce qui induit cette « motilité » de la recherche. Le savant a pu faire des découvertes au préalable, dans son domaine ou « univers » de recherche. Mais LA découverte s’est faite « par hasard », parfois dans un domaine qui n’était pas tout à fait le sien et en dehors du « temps de travail » du savant, c’est-à-dire dans un espace-temps qui n’était a priori pas « réservé » ou « alloué » à la recherche. En tout cas, nous pouvons dire qu’une certaine représentation nous conduit à imaginer que les « grandes découvertes » sont venues de « nulle part », mais qu’elles ont émerger dans un contexte tout à fait particulier que l’œil expérimenté ou non du savant a su « découvrir », ou « cueillir en vol » en jouant avec ce qui se présentait à lui. C’est ensuite la reconstruction, que nous faisons a postériori de l’histoire, qui nous conduit à voir ici et là les facteurs bien clairs et bien définis dans le temps qui ont inexorablement abouti à la création du savant.

Aujourd’hui, le schémas s’est peut-être légèrement complexifié et sous certains aspects peut-être aussi inversé. Le chercheurs semblent faire des découvertes dans son temps de travail. Pourtant, l’actualité récente nous montre que certaines avancées significatives sont toujours faites sur le schémas de « l’intuition » ou de « l’accident ». Le chercheur se découvre encore aujourd’hui mais pas toujours, chercheur lorsqu’il découvre au hasard quelque chose d’imprévu qu’il parvient à saisir.

Dans ce cas là, nous avons aujourd’hui un terme prévu pour désigner le changement qui s’est opéré : de chercheur il est devenu également « inventeur ».

Pourtant, le contexte actuel semble faire évoluer la recherche du côté d’une intentionnalité de planification et de rationalisation du travail du chercheur. Dans certaines situations, le doute, l’incertitude et le « temps-mort » disposent de moins en moins de place alors qu’en parallèle nous pouvons remarquer que mêmes les sciences les plus « dures », tendent à devenir spéculatives et à intégrer dorénavant ces paramètres de l’imprévu dans leur organisation conceptuelle.

Bien sur on pourrait rétorquer que de telles considérations tiennent plus d’une sorte de « c’était mieux avant », parfois répandue dans certains domaines de recherche, ou chez certains chercheurs, ou encore de dire qu’après tout, ce petit article passe inaperçu parmi les trésors de découverte de ce numéro de décembre 2011…

Et pourtant, à y regarder de plus près, il me vient une réflexion sur le rapprochement toujours plus prononcé entre science « dures » et sciences « molles »… mais surtout sur le fait que nous avons apparemment re-découvert que nous avions le temps…reste à savoir pour quoi faire ?

A une époque ou le battement de cœur de la vie, des villes et du monde entier, semble s’accélérer, un certain nombre de chercheurs s’autorisent à questionner la course à la performance et à la productivité (toujours plus de recherches et de publications). D’un coureur de fond, le chercheur est devenu un sprinteur préparé à pulvériser le record du monde.

Il semble que comme dans de nombreuses situations, la logiques néolibérale, sous couvert d’une libéralisation de la pensée et des moyens de production,  soit venue transformer l’usage des termes que nous employons, et par conséquent, de la manière dont nous concevons ce que nous faisons et que nommons par ces termes. Ce qui est ici dénoncé c’est l’éloignement de la recherche de ce qui la constitue au fond à savoir, le tâtonnement, l’égarement, le doute, le temps perdu, et la recherche sans savoir ce que l’on recherche fondamentalement au fond. Cette logique s’insuffle même à l’Université où les jeunes chercheurs sont « priés » de boucler leur recherches en un temps défini, et ou les publications sont largement encouragées : ceci afin de conserver bien sur les « crédits » et « accréditations » attribuées par le gouvernement aux « pôles de recherches » les plus « dynamiques ». Il est clair que dans un contexte de « catastrophe imminente » tel que nous l’entendons tous les jours et chaque semaines dans les médias, l’accumulation de publications, le débit du flux considérable des travaux de recherche ainsi que le rythme soutenu de la pensée scientifique, sont autant de façons de combler cette angoisse bien légitime que nous ressentons. La recherche est ainsi quelque chose qui vient insuffler la vie dans une atmosphère où paradoxalement la mort devient un tabou bien qu’elle soit surmédiatisée. Il faut savoir qu’aujourd’hui, un laboratoire de recherche qui ne dispose pas de suffisamment d’écrits ou de publications dans telles revues internationales ou à « comités de lecture » important, est voué à rencontrer des difficultés par la suite. Bien que la littérature et la philosophie soient pour le moins éloignées, à priori, d’une écriture scientifique, nous pouvons quand même rappeler avec Montaigne que « Philosopher, c’est apprendre à mourir ».

Même les prémisses de recherche sont censé restées plus « secrètes » pour ne pas que l’on nous « pique l’idée »…à une époque ou une simple publication sur « la toile » peut conduire d’autres collègues sur la même voie.

Si nous ne sommes plus dans une période de « guerre », il convient de remarquer quand même que les enjeux de mondialisation et de guerre économique ont un effet significatif sur la forme et la direction de la recherche. M. Foucault nous rappelle que « La politique est la continuation de la guerre par d’autres moyens ».

Le recherche semble ainsi avoir pris la forme du cadre dans lequel elle se développe à savoir une : « mise en concurrence », une individualisation du travail du chercheur, et un recours systématique à l’objet numérique dans sa dimension de moyen et de fin du travail de réflexion. peut-être que le contexte actuel résulte d’une forme d’externalisation généralisée d’une conflictualité interne devenue difficile à contenir en raison du fourmillement d’enjeux autour du travail de manière général, mais aussi autour de celui de chercheur.

Pour faire le lien avec le numérique, nous ne pouvons pas nier que son recours a eu des effets considérables sur les « temps de latence » qu’un travail de recherche suppose.

Bien sur, le numérique a permis une accélération non-négligeable de la productivité scientifique, de son exactitude et de son évolution. Cependant, il ne faut pas oublier que les objets que nous utilisons ont nécessairement un impact sur le schème inconscients qui guide notre intentionnalité mais aussi sur la forme que cela prendra. La forme étant quelque part « le fond qui remonte à la surface » (V. Hugo).

Il ne faut pas oublier que la science et la recherche ont besoin de créativité et que celle-ci dispose de son propre rythme qui dépend d’un ensemble de facteurs emboités. Le rythme individuel du chercheur, celui de son groupe d’appartenance, de ces contacts, mais aussi du domaine dans lequel il travaille, sont autant de facteurs qui définissent un « rythme de croisière » singulier.

Or, de nous jours, il parait presque utopique ou même décalé d’entreprendre un travail de recherche sans bénéficier d’un plan de vol bien délimité et circonscrit, avec des « check point » réguliers, ainsi que d’une subvention, laquelle bien sur est, de nos jours, largement tournée du côté de contributeurs privés, qui demandent en juste retour, un potentiel de « retour sur investissement » qui semble des plus légitimes.

C’est ainsi que même en science humaines, il faut rationaliser, quantifier, prévoir, anticiper, planifier son parcours et promettre.

Pourtant, il semble tout à fait important de repérer qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Peut-être pouvons dire que l’ère du mécénat étant révolue, le chercheur est avant tout un technicien de pointe, un spécialiste dans son domaine, un homme du futur…Il est intéressant de remarquer que la maturité que nous acquérons lentement, au fur et à mesure de notre parcours, nous enseigne paradoxalement à ne pas se considérer comme un simple technicien sans pour autant se déclarer « expert » ou « spécialiste ». Encore plus curieux est cette tendance à mettre de côté toute la dimension éthique : à partir du moment où les avancées sont considérées comme « bénéfiques », il faut s’y engager.

Dans le contexte actuel, le chercheur est parfois perçu comme un homme disposant de savoirs et de « compétences » qui vont lui permettre (ou plutôt qui vont permettre à ces financeurs), d’avoir enfin une reconnaissance mais surtout un bénéfice financier. C’est ainsi que la recherche est un « pôle » d’investissement tout à fait important au sein des pays développés qui peuvent alors proposer un « savoir-faire » ou une « plus values ».

Nous sommes donc bien loin de la représentation d’un « savant » toujours pris dans ses pensées, la tête en l’air, mais qui prends son temps et se laisse ainsi découvrir/créé des « choses » qu’ils n’avaient pas prévu. Un savant qui prend son temps pour faire autrechose que chercher volontairement. Pourtant, l’historie nous apprend que de grandes découvertes sont entourés de mythes concernant le caractère tout à fait « accidentel » de nombreuses « trouvailles » dans le domaines scientifique.

Comment alors « trouver/créé » sa pratique singulière de chercheur ? peut-on totalement « cloisonner » cette activité du reste en considérant qu’il s’agit d’un « centre d’intérêt » parmi les autres ?

A l’époque du crépuscule du sujet unaire, unité indivisible qui voyait nécessairement son identité de chercheur du quotidien comme le fil rouge de sa vie, le chercheur peut-il encore trouver le temps pour trouer son objet de recherche ? et se retrouver créatif ?

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